Peu connu en France, mais considéré comme un nouvelliste majeur aux Etats-Unis, Leonard Michaels a mis trente ans avant de se pencher sur l’histoire douloureuse de son premier mariage avec Sylvia Bloch. Les éditions Christian Bourgois rééditent ce témoignage en même temps qu’une sélection de ses nouvelles.
Affectivement très fragile mais brillante, elle réussit en dépit des nuits blanches et des scènes de plus en plus frénétiques, à passer ses examens de littérature classique. Un mot, une attitude, une impression fondée ou non peuvent interrompre la moindre activité et déclencher une rage, une colère incontrôlable qui aboutit régulièrement à la projection de tout ce qui passe à sa portée. Loin de mettre un nom sur cette paranoïa qu’il comprendra bien des années plus tard, le narrateur se laisse enfermer dans un cycle infernal, partagé entre la culpabilité d’une faute dont il ignore tout et un optimisme pathétique résultant d’un manque évident d’expérience conjugale.
Ce livre écrit en 1992, presque trente ans après les faits, met à jour des blessures encore vives, avec une sincérité toute pétrie de tendresse coupable envers cette jeune femme qu’il n’a pas pu sauver. En alternant journal et souvenirs, Leonard Michaels restitue scrupuleusement son impuissance à tenter d’enrayer le processus de destruction à l’œuvre, alors qu’il essayait péniblement de commencer à écrire. La mutation de la société américaine qui amorce son émancipation des carcans et de la morale vient en contrepoint du récit comme une forme de justification retardant le moment de mettre un nom sur cette folie. C’est d’ailleurs le second intérêt du livre, de faire revivre le Village de Miles Davis, Kerouac ou Ginsberg, le début des années soixante et cette joyeuse bohême où “ le mot amour avait la même force que le verbe tuer”. Probablement est-ce dans cette épreuve que l’auteur a puisé ce mélange de noirceur et d’humour qui anime les nouvelles ayant fait son succès au cours des décennies suivantes.

Sylvia
Leonard Michaels
Editions Christian Bourgois
Cet article est paru le 4 février 2010 dans l’hebdomadaire La Semaine n° 255. Pour lire le journal dès sa parution, abonnez-vous !