Saint-Quirin est arrivée en avant dernière position de l’émission «les plus beaux villages de France », mardi 4 juin sur France 2. Belle publicité, les trois minutes de reportage sur la commune ont déçu de nombreux habitants, qui refusent de la résumer à un conglomérat de sites touristiques.
»Une carte postale »
Heureuse pour la visibilité de son enseigne, Nathalie ne cache pas ses réserves concernant celle de Saint-Quirin : « Selon moi, le reportage n’a pas été très fidèle. Je pensais qu’il mettrait mieux le village en valeur. En même temps, il pleuvait, il n’y avait encore aucune fleur dehors et pas un chat dans les rues lorsqu’ils sont venus tourner », souffle-t-elle. Au sein de ses trois petites minutes, le reportage réalisé les 7 et 8 avril réussit à cacher cette réalité maussade : sélection des plans les plus ensoleillés, mise en scène d’enfants et d’autres badauds pour habiller les rues, nombreuses escapades intérieures pour présenter l’orgue Jean-André Silbermann de l’église priorale de Saint-Quirin, classé « monument historique », ou encore une dégustation de saucisson dans la boucherie de Bernard Jacob. Un choix visuel loué par Geneviève : « J’ai trouvé Saint-Quirin presque plus jolie dans le reportage, qu’en vrai », soutient la septuagénaire, assise au coin de la terrasse du café des Vosges. « Exactement l’effet que peut procurer une carte postale. »L’effet carte postale, justement, hérisse le poil de beaucoup d’autres habitants : « Ils ont montré la chapelle-haute, ils sont allés chez le boucher, ils ont filmé la fontaine miraculeuse (source découverte par un tribun et saint martyr romain, saint Quirin, dont l’eau soignerait de nombreuses maladies, ndlr), et puis voilà », râle gaiement Bernard, 63 ans dont 60 passés dans la commune est-mosellane. « Ils auraient pu aller au plan d’eau du village ou à l’hostellerie du Prieuré, qui est un symbole local. » Sorti dans son jardin pour bichonner un tandem, l’homme esquisse l’ingrédient phare de sa commune : « Ici, on est bien. Le cadre de vie reste exceptionnel. D’ailleurs, je ne pars pas en vacances. Le plus loin pour moi, ce sont les Vosges », rigole-t-il.
Patrimoine solidaire
Voilà un détail tout sauf ignoré par le reportage : l’environnement verdoyant du village, ses pléthoriques chemins de randonnée (en photo ci-contre) et le charme bucolique de son site archéologique gallo-romain de la Croix-Guillaume, autre « monument historique » des lieux situé sur un plateau de la commune. « J’ignorais qu’il existait avant de regarder le reportage », dévoile Stéphanie, une habitante de 24 ans. A sa décharge, elle a emménagé à Saint-Quirin au mois de mars. Si l’émission de France 2 n’a pas loupé l’immanquable, elle est peut-être passée à côté de l’essentiel : ce qui ne se voit pas forcément. « En fait, ils ont montré ce qu’il fallait montrer. Mais oublié de parler du travail effectué par la commune et ses habitants, pour rendre le village tel qu’il est aujourd’hui », juge Gilles, 55 ans. « Il y a beaucoup de solidarité dans notre village. Le fait de se donner la main fait partie du patrimoine. Je suis malade, et ce sont mes infirmières journalières qui plantent mes fleurs, devant la maison. Cette entraide aurait mérité sa place dans le reportage. » Autre manquement, les nombreux artisans de la localité : « Nous avons ici une artiste-peintre (Nadia Ulukaya, ndlr), une verrerie d’art (le « Ver luisant », ndlr), un sculpteur (l’atelier Saint-Michel, ndlr) et une galerie d’art (l’espace Boyrié, ndlr). Ils font la richesse de notre village mais sont passés inaperçus dans l’émission », lance Camille (*), originaire de Saint-Quirin. Bref, la vie, celle qui lie entre eux les habitants de la commune et qui déborde des créations de ses artisans, n’a pas eu droit de cité dans le reportage, selon l’essentiel de sa population. En même temps, un calibrage de trois minutes interdit toute exhaustivité. Et visuellement, une église priorale surmontée de trois tours à oignons dont deux à triple bulbe passe sûrement mieux qu’un couplet sur les valeurs solidaires d’une communauté villageoise. Les avantages et les inconvénients de la télévision, où la grande audience reste servie par le format court, donc lacunaire. Le maire de Saint-Quirin, Robert Laval, préfère retenir de l’aventure cet élan médiatique : « Nous n’avons pas pu voir l’émission avant sa diffusion, et beaucoup de plans filmés sur place par l’équipe de tournage ont finalement été mis de côté. C’est dommage, mais je reste satisfait : passer durant 3 ou 4 minutes au niveau national, à la télévision, ne peut avoir que des retombées positives sur notre commune », nuance-t-il.Dernière philosophie, se désintéresser totalement de cette médiatisation-éclair : croisé au détour d’un café, Gaëtan n’a pas regardé l’émission : « J’étais sorti, je suis rentré trop tard. Même si j’avais été là, je ne l’aurais de toute évidence pas regardée. Certes, c’est un beau village. Mais ça reste un village », livre le jeune homme de 22 ans. Saint-Quirin, sa haute-chapelle perchée, son église à bulbe, et son humilité.
Cet article est paru le 13 juin 2013 dans l’hebdomadaire La Semaine n°427 à Metz. Pour lire le journal dès sa parution, abonnez-vous !