Margaret Harrison, devant une partie de son œuvre intitulée The Last Gaze (2013).Le Fonds régional d’art contemporain (Frac) de Lorraine propose jusqu’au 6 octobre, à Metz, la première rétrospective française consacrée à l’artiste anglaise et féministe Margaret Harrison. Une plongée multicolore suivant ses cinquante ans de combat destinés à porter un autre regard sur la femme, en s’amusant des codes artistiques et de toute bienséance.
Un Captain America aux gros seins et en porte-jarretelles, une femme à l’allure lascive chevauchant une banane dont elle mord l’extrémité en érection, des collages dépouillés illustrant la précarité d’ouvrières anglaises durant la crise industrielle des années 70. L’art joyeux, rebelle et sensible de l’artiste Margaret Harrison vient d’investir les couloirs du Frac (Fonds régional d’art contemporain) de Lorraine, situé à Metz, pictant ses murs de couleurs saisissantes et de crayonnés dissidents jusqu’au 6 octobre. Une première : jamais cette activiste de la cause féminine n’a bénéficié d’une rétrospective en France, alors que d’autres pays comme l’Allemagne ou l’Espagne lui ont plus tôt ouvert les bras.
À l’heure où le féminisme est « devenu une mode », comme l’a affirmé l’artiste dans un rire éclatant le jour du vernissage de son exposition le 27 juin, la trentaine d’œuvres accrochées à Metz témoignent toutes – ou presque – de son militantisme ancestral : 48 ans séparent ce début d’été caniculaire de sa caricature du fondateur de Playboy Hugh Hefner, affublé d’un costume érotique de lapin et fumant la pipe, qui avait conduit à la fermeture prématurée de sa première exposition en 1971. Une œuvre volée à l’époque, « peut-être par des membres du playboy-club » courroucés par l’affront, pense Margaret Harrison. L’anecdote illustre d’où vient l’artiste : un monde dans lequel le simple fait de s’amuser des genres féminin et masculin dans un tableau provoquait un scandale.
Good Enough To Eat, 1971.
Femme-sandwich
« Mes œuvres étaient controversées dans les années 70, elles ne le sont plus maintenant », estime Margaret Harrison le 27 juin, du haut de ses 79 ans et d’un jovial visage de grand-mère. Sa toile volée en 1971 et baptisée He’s only a Bunny Boy But He’s Quite Nice Really, elle en a réalisé une centaine de copies qui s’affichent désormais, comme au Frac, sans soulever aucun cri d’orfraies parmi les visiteurs. Si les droits des femmes ont progressé depuis cinquante ans, c’est en partie grâce à des artistes qui ont contribué comme elles à mettre en lumière le traitement parfaitement déséquilibré qu’elles subissaient, au sein d’une société avant tout gouvernée par les hommes. Pour traduire cette réalité, Margaret Harrison a souvent exploité l’humour, la grivoiserie et l’exubérance : l’exposition du Frac regorge de super-héros dé-virilisés par leurs attributs efféminés, de tableaux de peintres célèbres comme Édouard Manet qu’elle s’amuse à détourner ou encore de filles à moitié nues dessinées à la place d’un bout de viande entre les deux pains d’un sandwich, une dédicace à un célèbre journaliste anglais qui décrivait systématiquement les femmes en les comparant à de la nourriture. « Lors de mes premières expositions, le public n’était pas choqué par mes portraits de femmes en tenue légère, mais par ceux des hommes qui portaient exactement les mêmes habits », se souvient Margaret Harrison. Malgré le temps qui passe, la force corrosive et comique de ces figures “pop” malmenées reste intacte.