Il vient de publier « Qui est Mélenchon » (Plon).
Pourquoi avez-vous écrit ce livre ? Pour solder une ancienne amitié ?
« Non, mais j’ai écrit cet ouvrage parce que je pense qu’au regard de nos années passées à militer côte à côte et du compagnonnage que j’ai eu avec Jean-Luc Mélenchon, c’était une interrogation que je me posais d’abord à moi-même : qui est-il vraiment, comment en est-il arrivé-là. C’est un devoir par rapport à tous ceux, à gauche, qui se posent cette même question. »
Qu’est-ce qui vous a rapproché et pour quelles raisons vous êtes-vous éloignés l’un de l’autre ?
« Ce qui nous a rapprochés au départ, c’est que nous venions l’un et l’autre des milieux trotskistes des années 70 et que nous avions fait tous les deux, le choix de voir le négatif de cet engagement trop minoritaire, parfois marqué par l’ultimatisme et un peu trop simpliste. Nous avions fait le choix aussi d’un réformisme radical et donc d’adhérer au parti socialiste. Ce n’était pas une conversion à la social-démocratie, plutôt une leçon tirée d’une expérience passée. La rupture date de 2002 lorsqu’il casse la gauche socialiste que nous avions construite ensemble. »
Pour quelles raisons ?
« Si j’avais la réponse, ce serait formidable mais plus de vingt ans après, je ne l’ai toujours pas. Dans le livre, j’essaie de comprendre les motifs de cette décision prise unilatéralement et sans aucune discussion possible. Il a, par choix personnel, remis en cause des années de travail. Après il y a plein d’explications sur lesquelles je ne veux pas revenir, mais je note que durant cette période il adopte des positions étranges. Il joue un rôle majeur dans la campagne du « non » lors du référendum de 2005 sur le Traité constitutionnel européen mais il n’en tire aucun bénéfice quant à sa situation au PS. »
Justement après le référendum de 2005 il quitte le PS dont il espérait prendre la tête. C’est la cause de sa bifurcation vers une autre conception du combat politique ?
« Il ne le quitte pas tout de suite mais les éléments de sa sortie se mettent en place à ce moment-là. »
Qu’est-ce qui motive sa décision ? Stratégie personnelle, sentiment d‘avoir été méprisé au PS ?
« Je pense qu’il a le sentiment qu’au sein du Parti socialiste il a fait son temps parce que le PS ne le reconnaît pas à la hauteur de ce qu’il pense être et de ce qu’il est devenu au travers du référendum de 2005. Il considère qu’il faut tirer un trait et qu’il est temps pour lui de faire autre chose. »
Vous pensez qu’il a une revanche à prendre sur le PS ce qui explique son attitude actuelle vis-à-vis de la formation politique à laquelle il a appartenu ?
« C’est quelqu’un qui a un énorme égo. Il n’y a pas que cela qui le guide mais oui, je pense, qu’il veut prendre sa revanche sur le PS et sur François Hollande »
Vous le soupçonnez d’avoir été un infiltré Lambertiste à l’intérieur du PS.
« Même pas. Je pense qu’au départ il n’a pas rompu. Ce n’est pas une taupe comme on dit dans le vocabulaire traditionnel. Je crois qu’il n’a pas coupé le lien et qu’il est resté dans une relation discrète avec des rendez-vous réguliers. »
Cela a eu forcément une incidence dans son chemin idéologique actuel.
« Certainement qu’à un moment donné, le choix qui avait été celui de la famille politique auquel il appartenait, c’est-à-dire ce qu’on appelle le trotskisme qui avait survalorisé le Parti socialiste dans les années 80, ; l’a incité à tirer a tiré un trait sur le PS en tant que tel et à prendre le chemin qu’il suit aujourd’hui. »
À partir de quel moment tombe-t-il dans la radicalité ?
« Il est construit dans l’affrontement. C’est pour ça que j’ai écrit un livre qui s’appelle « La faute politique de Mélenchon ». Ça commence sous le quinquennat de François Hollande. »
En somme ce quinquennat est une sorte de boulet pour la gauche.
« Ce n’est pas un boulet mais il y a une déception terrible. C’est plus qu’une déception, c’est l’aveu que la social-démocratie ne sait plus se battre pour quelque chose dans le monde tel qu’il a évolué. Elle n’est plus porteuse d’un message réformiste radical. »
La radicalité de Jean-Luc Mélenchon est de plus en plus marquée depuis le 7 octobre 2023. Empêche-t-elle vraiment la gauche de gagner ?
« Ce n’est pas une radicalité parce que si ce n’était qu’une question de radicalité, ça pourrait se discuter. Mais c’est autre chose. C’est désormais une conversion totale à l’idée que dans le combat contre le grand Satan que représente l’Amérique, l’alliance à l’islamisme politique est un élément de ce combat. Pour la gauche républicaine, universaliste, c’est un problème majeur parce que ce n’est pas son histoire. Il peut y avoir des alliances électorales mais le problème, c’est qu’ils ont voulu faire un programme en commun et ils ont voulu donner le sentiment qu’ils pouvaient avoir une histoire politique en commun. Or, il ne peut pas y avoir d’histoire politique en commun à partir du moment où désormais, qu’il le veuille ou non, Jean-Luc Mélenchon, est dans la famille de l’islamisme politique. Ce n’est pas moi qui le dis c’est la fondatrice du Parti des Indigènes de la République Houria Bouteldja qui a dit en parlant de lui : c’est un butin de guerre. »
Est-il toujours républicain ? En jouant à fond la carte du communautarisme, s’enferre-t-il dans une stratégie dangereuse ?
« Oui, c’est que je viens de dire. Il est en train de créer une situation qui est dramatique pour la gauche, parce que si elle s’identifie à lui, elle devient totalement minoritaire dans le pays. »
Vous dites qu’il serait un Donald Trump Français et vous le comparez aussi à Laval, Doriot, Mussolini. Vous n’y allez pas un peu fort ?
« Non, je ne le compare pas. Je dis simplement que dans la forme il a très bien compris comment marchait le mécanisme de la provocation dans le monde médiatique actuel. Il sait l’alimenter en permanence. Chaque jour désormais on a droit à sa saillie provocatrice. »
Oui, c’est la base du Trumpisme, mais Laval, Doriot, Mussolini, ce n’est pas excessif ?
« Non je ne dis pas que c’est Doriot ou Laval, je dis simplement que c‘est le mécanisme du ressentiment qui est commun à tous ces personnages. Il pense qu’il n’a pas été reconnu à sa juste valeur. Laval estimait que Léon Blum l’avait maltraité, Doriot était frustré d’avoir été écarté au profit de Thorez. Le ressentiment, c’est le point commun à tous ces personnages. »
Le ressentiment, c’est son moteur ?
« C’est un élément oui. C’est un homme qui aime être aimé et qui considère qu’il n’a pas été aimé comme il aurait dû l’être. Ça s’appelle le ressentiment.
Pourquoi le PS ne s’affranchit-il pas complètement de Mélenchon ? Parce que son premier secrétaire n’a pas la moelle pour le faire ou parce qu’il n’a rien à lui opposer et pas grand-chose à proposer ?
« Je pense que la réponse est à la fin de la question. Le Parti socialiste est obligé de faire un bilan. Comparons les séquences. En 1993 quand nous perdons sèchement, nous faisons des états généraux, nous procédons à une mise à plat des années qui viennent de s’écouler et nous donnons le sentiment que nous avons compris le sens de notre défaite. C‘est pour cela que tout doucement nous allons reconstruire notre autorité dans le pays et même avoir la capacité de gagner en 1997 où, après la dissolution, nous remportons les législatives. En 2017, nous ne faisons rien de tout cela, nous nous replions en ayant quasiment honte de nous-mêmes. Nous intégrons une forme de capitulation et nous pensons que nous allons retrouver nos vertus de gauche en nous jetant dans les bras de Mélenchon. C’est l’inverse qu’il fallait faire. »
C’est-à-dire ?
« D’abord honnêtement faire le bilan, accepter les critiques et, à partir de là reconstruire une identité moderne. Quand on n’a pas d’identité moderne, on est sous la pression des autres. »
Personne ne vous paraît en mesure d’impulser un mouvement de refondation ? Personne n’émerge ?
« Je ne pense pas que ce soit une question d’individu et de personnalité. François Mitterrand était très bon mais, d’abord, il avait une ligne politique. Donc, pour reconstruire Il faut une ligne politique, un projet de société avec des valeurs et une réflexion sur le monde tel qu’il est aujourd’hui. J’ai écrit ce livre car je veux, en me livrant à une critique de fond du mélenchonisme, montrer, notamment à la jeune génération, de quoi il s’agit et ce que porte son discours. »
Vous évoquez François Mitterrand. Vous avez dit que Jean-Luc Mélenchon aurait pu être François Mitterrand. L’habit n’était pas un peu trop grand pour lui,
« Si on regarde ce qui vient de se passer oui. Il a aussi une responsabilité particulière au soir de l’élection présidentielle de 2007. À l’époque, il tourne le dos définitivement au Parti socialiste, au rassemblement de la gauche et il se lance dans une nouvelle aventure qui va être celle de l’auto-affirmation. Mais oui, Jean-Luc Mélenchon aurait pu comme François Mitterrand être celui qui refonde la gauche sur des bases nouvelles. »
La gauche hors Jean-Luc Mélenchon, peut-elle encore se rassembler sur un projet ?
« La gauche comme dit précédemment, a besoin d’identité. Dans les pays scandinaves, la social-démocratie a su comprendre l’évolution sur des questions comme par exemple, le droit à la sécurité, la maîtrise des flux migratoires et aussi les questions sociétales. Elle a été capable de se repositionner, mais la gauche française, on ne sait plus où elle est. Le mouvement socialiste français, on ne sait plus où il est. »
Jean-Luc Mélenchon vous a-t-il contacté après la sortie du livre ?
« Non, mais il ne le fera pas. »
Vous ne vous parlez plus du tout ?
« Ce n’est pas important ça, c’est du détail. »
Dans le livre vous écrivez votre crainte de voir lors de la prochaine présidentielle, un face-à-face Mélenchon-Marine Le Pen. Pour Marine Le Pen c’est peut-être compromis mais, quoi qu’il arrive le Rassemblement national aura un candidat. Ce mouvement peut-il encore s’inverser ?
« Oui si une alternative politique se crée, si on est capable de comprendre l’évolution avec les multinationales du numérique qui ont des pouvoirs considérables, la fragilité des gouvernements face à ça et l’État social qui ne sait plus répondre à ces nouvelles demandes. La base de la gauche, c‘est l’école. L’école c’est un instrument d’émancipation, de construction de la citoyenneté. Quel est le projet éducatif de la gauche ? Cela ne peut pas être seulement : des moyens, des moyens et des moyens… »
Il faut certes un projet mais quel leader pour le porter ?
« Aujourd’hui tout le monde se prend un leader… »
La politique pour vous, c’est vraiment du passé ?
« Ce ne sera jamais du passé. Je suis tombé dedans quand j’étais tout petit, parce que j’adhérais à un certain nombre de valeurs et que ces valeurs je ne les jette pas par-dessus bord. Je me bats à ma manière, autrement, avec l’âge et la maturité peut-être. »
Replonger de manière active et visible, c’est définitivement non ?
« Vous savez nous sommes en ce moment dans des situations où c’est l’occasion qui va faire le larron… »