Tous vous diront que « ce n’est pas le moment », que le sujet est « mal tombé » et que le timing est particulièrement « maladroit ». Néanmoins, la question du cumul des mandats n’est pas un sujet nouveau et revient régulièrement dans l’actualité. Récemment, le débat a été relancé par le nouveau Premier ministre, François Bayrou (MoDem), qui entend bien rester maire de Pau et plaide pour le retour de cette pratique. Sa participation au conseil municipal de la commune le lundi 16 décembre 2024 alors même que le nouveau gouvernement n’était pas encore constitué a attisé les foudres d’une partie des élus de gauche et d’extrême gauche mais également à droite, certains qualifiant ce choix de « faute politique majeure ».
Pourtant, en France, la « culture du cumul » est ancienne et elle s’est renforcée tout au long de la Ve République. En 2012, 476 députés sur 577 (82 %) et 267 sénateurs sur 348 (77 %) étaient en situation de cumul. À l’époque, ces chiffres font de la France une exception en Europe, où le cumul des mandats électoraux est interdit ou très limité (vie-publique.fr). Ce n’est aujourd’hui plus le cas puisque les parlementaires nationaux ont des possibilités restreintes. Depuis la promulgation de la loi organique n° 2014-125 du 14 février 2014, il est interdit à tout député et sénateur d’exercer une fonction exécutive locale. Concrètement, un sénateur ou un député ne peut exercer, dans le même temps, les fonctions suivantes : maire ou adjoint au maire. Ainsi, en cas de situation de cumul, le parlementaire nouvellement élu dispose d’une trentaine de jours pour démissionner du mandat ou de la fonction qu’il occupait auparavant. À défaut, le mandat ou la fonction acquis à la date la plus ancienne prend fin de plein droit.
Dernièrement en Meurthe-et-Moselle, c’est le cas de Stéphane Hablot (PS) et d’Estelle Mercier (PS), qui ont dû respectivement abandonner leurs fonctions de maire de Vandœuvre et d’adjointe municipale à la Ville de Nancy suite à leur élection comme députés lors des législatives de juin 2024.
« Recréer un lien de confiance »
Après des propositions de loi présentées en 2019 et en 2021, un nouveau texte visant à assouplir cette loi a été déposé en mars 2024 à l’Assemblée nationale, porté par le groupe Horizons. Les arguments avancés, mis en avant par le député d’Indre-et-Loire Henri Alfandi, à l’origine du texte, résidaient principalement dans le fait que le cumul des mandats « n’a pas comblé le déficit de proximité entre les élus nationaux et leurs électeurs ». « Pire, ils apparaissent comme déconnectés des réalités de terrain et peu à même de comprendre les éventuels obstacles à l’application concrète des lois qu’ils votent. Ne jouant plus de rôle réel dans l’exécution des politiques publiques, une forme de déresponsabilisation dans la détermination de ces dernières est parfois soulignée par les responsables locaux. Entre le préfet et les élus locaux, le député peine à trouver sa place », argumentait-il. Proposition de loi qui n’a toutefois pas été adoptée.
Il n’est pas le seul à user de cet argument. Thibault Bazin (Les Républicains), député de Meurthe-et-Moselle, se présente lui-même comme « une des premières victimes » de la loi de 2014. « Il existait effectivement un sentiment de défiance envers la classe politique et un des remèdes à ce problème passait par l’interdiction du cumul des fonctions locales et parlementaires. Or, dix ans plus tard, je n’ai pas l’impression que l’on ait comblé ce fossé. » Ayant abandonné son siège de maire de Rosières-aux-Salines lors de son entrée à l’Assemblée nationale en 2017, l’élu du lunévillois a déjà déposé plusieurs textes allant dans ce sens.

« On n’a jamais eu autant de parlementaires qui n’habitent pas leur circonscription et doivent leur élection à leur étiquette politique. »
Thibault Bazin (LR), député de Meurthe-et-Moselle
« Pour recréer un lien de confiance entre les concitoyens et leurs représentants nationaux, un premier élément est que ces derniers soient connectés à leur territoire. On n’a jamais eu autant de parlementaires qui n’habitent pas leur circonscription et doivent leur élection à leur étiquette politique. » Une ligne rouge à ne pas franchir pour Stéphane Hablot, affirmant que « l’intérêt local ne dépend pas d’un parti ». « C’est pour ça que je ne suis pas en faveur de la proportionnelle [également défendue par François Bayrou] car on risque d’aller vers des jeux de lobbying politique et d’influence. »
« Quelque chose à inventer »
Stéphane Hablot se veut malgré tout plus modéré que son homologue et admet « comprendre les deux points de vue ». « Si je n’avais pas été maire, jamais je n’aurais eu cette connaissance des réalités locales que j’ai acquise et, à l’inverse, grâce à cette expérience nationale, j’ai pu obtenir une autre lisibilité de l’échelon local. » Il reconnaît toutefois que « certains abus » ont pu être commis dans le passé, ayant amené à la situation actuelle. « Il y avait comme un cas de conscience car certains ont abusé du cumul des fonctions. »
« Je pense qu’il y a quelque chose à inventer, il faut trouver un équilibre. Peut-être que le député pourrait bénéficier d’un rôle renforcé au niveau local… »
Stéphane Hablot (PS), député de Meurthe-et-Moselle
Pour autant, s’il ne se positionne pas contre cette pratique, lui-même affirmant qu’il aurait conservé le mandat de maire si cela avait été possible, il ne se dit pas non plus en faveur du cumul des mandats à proprement parler. « Je pense qu’il y a quelque chose à inventer, il faut trouver un équilibre. Peut-être que le député pourrait bénéficier d’un rôle renforcé au niveau local… »

« Si le couple député-maire ne travaille pas main dans la main, alors il est affaibli », complète Thibault Bazin, qui atteste mettre un point d’honneur à entretenir de bonnes relations avec les élus de sa circonscription, même s’il n’est pas toujours facile de trouver le temps de rencontrer tout le monde. Être député-maire, c’est finalement un moyen de donner une voix plus forte à un territoire sur la scène nationale. « Les seuls qui ne siègent pas à l’Assemblée sont les maires. Cette situation interroge », note le député LR. Il pointe également le fait qu’à l’inverse il est possible de cumuler de multiples fonctions locales. « On peut être président de Région, tout en étant à la tête d’un Département et d’une collectivité. Est-ce plus compatible ? Le cas d’un député ou d’un sénateur qui jouit d’un mandat local me paraît plus raisonnable. Car il ne faut pas oublier que les parlementaires ne pouvaient cumuler qu’un seul mandat exécutif », rappelle Thibault Bazin.
De son côté, l’actuel maire de Laxou, Laurent Garcia (MoDem), tient tout de même à balayer certaines « polémiques », bien qu’il ne partage la position de Thibault Bazin sur la question. À commencer par celle au sujet du cumul des indemnisations. « Comme le disait le président du Sénat, Gérard Larcher : la démocratie, ça coûte. Certains électeurs veulent des élus corvéables à souhait et bénévoles. On touche alors à un vrai problème de démocratie car un élu non rémunéré ou très peu, risque d’être à la merci des lobbies qui tenteront d’acheter sa voix. Pour ma part, lorsque j’ai été élu parlementaire, j’ai dû cesser mon activité professionnelle, faute de temps. Je n’ai donc pas cumulé mon salaire avec mes indemnités. »
Compatibilité et incompatibilité
Laurent Garcia a eu l’occasion, un peu malgré lui, d’expérimenter le cumul des mandats de maire de Laxou et député de Meurthe-et-Moselle, entre 2020 et 2022. Une situation qui l’a « conforté » en faveur du non-cumul. « Il n’est pas impossible d’assurer les deux fonctions mais si vous voulez vous investir pleinement dans votre rôle, je ne le recommande pas. Sinon, vous passez votre temps dans votre voiture. D’autant plus que vous devez être présents également à Paris de manière régulière, si vous vous impliquez lors des sessions, ce qui divise votre temps de présence sur le territoire par deux. » Un constat sur lequel Estelle Mercier le rejoint. « On peut bénéficier d’une expérience locale sans pour autant cumuler deux mandats en même temps. Pour ma part, je ne sais pas comment j’aurais pu conserver ma fonction d’adjointe municipale en parallèle de celle de député. Cela me paraît difficile. Il est vrai que mon expérience sur le terrain représente un vrai avantage, j’ai été élue locale pendant 17 ans ce qui m’apporte un certain ancrage, mais je ne crois pas que j’arriverais à assurer deux mandats. Il ne faut pas tout mélanger. »

Son avis est cependant plus nuancé quant au cumul de fonctions territoriales, qu’elle estime « compatibles ». « Dans le cas d’une Ville et d’une Métropole, par exemple, les deux collectivités sont fortement liées. Quand le citoyen vote pour un élu au conseil municipal, il vote aussi pour un élu métropolitain. Il s’agit de deux mandats interconnectés. Pour autant, cela ne signifie pas que l’on est obligé de siéger au sein de l’exécutif dans les deux cas car cela reste chronophage. »
« Certains députés ont le regard trop orienté sur leur circonscription et manquent de prise de hauteur sur les sujets nationaux. »
Estelle Mercier (PS), députée de Meurthe-et-Moselle.
Pour l’élue socialiste, brouiller les frontières entre les échelons nationaux est locaux n’est pas forcément la démarche idéale à adopter, chaque organe politique relevant d’une fonction bien précise, comme elle le souligne. « Certains députés ont le regard trop orienté sur leur circonscription et manquent de prise de hauteur sur les sujets nationaux. L’Assemblée ne doit pas se résumer à une simple somme de territoires car les profils et les problématiques y sont très différents que l’on soit dans une circonscription rurale ou urbaine. Ce qu’on vit dans un territoire, tout le monde ne le vit pas en France. C’est l’intérêt général des Français qui doit primer. »
Le bon profil
Pour ou contre le cumul, il semblerait finalement que ce soit surtout la question de l’expérience qui est mise en avant. C’est ce qu’analyse Laurent Garcia, également du côté des électeurs : « Avec l’élection d’Emmanuel Macron en tant que président de la République, la plupart des élus du groupe En Marche n’avaient jamais exercé de mandat électif auparavant. Il y a eu certes un renouvellement de la classe politique à ce moment-là mais je ne pense pas que les Français soient prêts à revivre l’expérience. On l’observe aujourd’hui, avec un électorat qui a tendance à se tourner vers des personnes d’expérience. C’est un gage de confiance. Je pense que le Premier ministre lui-même l’a compris puisque c’est la première fois que l’on a autant d’anciens ministres au sein d’un même gouvernement », souligne-t-il.
Une observation que partage Estelle Mercier. « Que les députés soient des profils de personnes ayant pu être aux manettes d’une collectivité, d’une mairie ou d’un département, est tout à fait normal.

Chaque député porte son parcours et son expérience. D’ailleurs, beaucoup en 2024 ont ce profil. Au contraire, un député n’ayant jamais exercé de fonction territoriale, cela se discute. »