La poésie du métal, l'exposition où Pierre Gaucher croise le fer

Exposé jusqu’au 7 avril au Puzzle de Thionville, l’art de Pierre Gaucher est comme l’homme : complexe et torturé, mais aussi lumineux et même drôle. La poésie du métal, c’est le nom de l’expo, rassemble Douleurs, phrases chiffonnées, épitaphes et autres morceaux d’écriture. De l’acier poli, découpé, pilonné dans un objectif toujours, traduire le combat de l’homme avec lui-même et tirer la lumière des heures les plus sombres. Sur les murs blancs de Puzzle, à Thionville, les lettres découpées au laser, les planisphères d’où émergent le profil de l’artiste, les points de ponctuation et autres miroirs de l’oubli font ressortir toute la lumière que charrie la matière. Le métal, sous toutes ses variantes et dans ses différentes techniques de travail. Le métal auquel l’homme comme l’artiste doit se mesurer physiquement pour révéler ses idées, ses messages. C’est que Pierre Gaucher est plutôt « sombre », confie-t-il, et que le métal dans ce qu’il a de pénible à travailler convient bien à son besoin de confrontation. « Le métal demande un tel investissement physique qu’il est à la hauteur de ce que je ressens. Il traduit bien la difficulté, la lourdeur de l’existence, et en même temps la beauté qui peut en découler, la chaleur, la sensualité et même l’espoir », déroule l’artiste pour qui la rencontre avec le matériau n’était pas gagnée.

Potentialité

Né à Sarrebruck alors que son père y était en poste, il a vécu ici et là jusqu’à s’installer à Strasbourg où il était parti, au départ, suivre des études de mathématiques. Le malheur des bons élèves que leurs parents n’imaginent faire autre chose que des grandes études. Alors dès les années lycée il peint, sans s’autoriser à rêver plus. C’est par hasard que Pierre Gaucher voit une annonce pour le concours des Arts décoratifs, qu’il s’y présente par pur défi personnel (« je voulais juste voir quelle note j’aurais, ce que je valais »). Accepté de justesse, il visite l’école et tombe, encore par hasard au sous-sol, sur l’atelier métal. Là l’odeur, la poussière, le feu, le bruit. « Le coup de cœur ! » pour celui qui doit annoncer à ses parents qu’il fera de l’art, et pire encore, de la ferronnerie, cette spécialité vue comme mineure y compris dans les murs de l’école où ceux qui le pratiquent sont surnommés « les béotiens ». Pour Pierre Gaucher, c’est surtout un formidable terrain de jeu, où tout est à écrire. « Dans un domaine avec très peu de candidats et très peu de création, je me suis senti appelé par une potentialité extraordinaire. »

La fragilité du métal

L’écriture déjà le sauve pour le concours aux arts déco où ses mauvaises notes techniques sont rattrapées par sa bonne rédaction. Lors de sa première exposition sur le travail du métal un peu plus tard, il réalise que les critiques ne voient absolument pas l’engagement poétique qu’il place dans le métal. « Une matière tellurique, aux connotations très viriles. Moi j’y vois de la poésie, de la fragilité. Il fallait que j’explique ça. » Pierre Gaucher revient alors au dessin et à l’écriture, il écrit de petits textes sans fioritures, sans déchet. Il parle de « textes évaporés ». Un droit au but imposé par la technique : ses mots, il les martèle un à un sur des plaques de tôle. Ce sont des extraits de ses Petite culture de l’oubli et autre Conquête de l’inutile qu’on peut lire, en n’oubliant pas de respirer, dans ses successions de lettres découpées au laser. Sa série Mes douleurs reprend quatre fois son profil découpé puis pilonné jusqu’à la défiguration, J’ai le nez cassé, J’ai perdu la face, J’ai la bouche pâteuse et J’ai mal au crâne s’en retrouvent déformés, torturés. L’apparente légèreté des titres donnés à ses œuvres, cette tentative d’humour sont, pour Pierre Gaucher, un moyen de rendre tout ça supportable. Sa série de trois points d’interrogation encadrés – 3 riches – côtoie une série de trois points d’interrogation non encadrés – 3 pauvres. Ses Dés je suis heureux qui présentent sur chaque face différentes possibilités je suis/j’ai été/… – un homme/ un enfant/… – serein/ heureux/… sont une invitation à être maître de son destin. Le sien est passé par la forge. Sa maîtrise a été reconnue en 1996 quand il a été nommé Maître d’art par la ministère de la Culture, pas courant en ferronnerie contemporaine. De le petite sculpture à la monumentale, du mobilier à la ferronnerie, Pierre Gaucher continue d’explorer les potentialités du métal. Jusque dans sa dernière technique en date, celle des papiers rouillés : forme de monotypes où l’encre est remplacée par la rouille des plaques de tôle. Histoire d’aller sonder le métal dans ce qu’il a de plus profond.

Pour en savoir plus : pierre.gaucher.free.fr. L’exposition La poésie du métal est visible à Puzzle jusqu’au 7 avril et s’inscrit dans la saison Caractères et poésie avec divers rendez-vous à retrouver sur puzzle.thionville.fr