Le billet de Pierre Taribo. Ce que je sais de François Bayrou

Il y a ceux qui parlent de François Bayrou et lui cherchent des poux dans la tête sans avoir jamais croisé sa véritable personnalité.

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Les réactions des élus mosellans et meurthe-et-mosellans sont assez tranchées suite à la prise de parole du nouveau Premier ministre.
© Jacques Paquier - FlickR
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Ils ne connaissent que l’homme politique et sa manière d’interpréter le rôle mais ils ignorent la cachette de l’intime qu’il s’ingénie à préserver.

Ce préambule pour dire qu’ayant publié deux biographies de François Bayrou et maintes fois parlé avec lui (il connaissait mon projet mais n’a pas relu la moindre ligne avant l’impression des ouvrages), je n’ai pas la prétention de l’avoir coincé dans ses pensées et ses sentiments ni tout saisi de son sur-moi, mais je crois détenir quelques réponses.

Avec François Bayrou, nous avons des racines plantées à quelques kilomètres l’un de l’autre. Lui en Béarn, moi en Bigorre, avec les Pyrénées comme ligne d’horizon. « Nous sommes des pais », se plaisait-il à dire à ses collaborateurs. Être voisins ne veut pas dire complicité. Lui c’est lui, moi c’est moi, et le tour est joué. Chacun dans son couloir, la discussion est lancée

Rencontrer François Bayrou, c’est apprendre la patience. Moins pour essayer d’explorer son âme que pour ses retards. Pas de quoi mettre du vinaigre sur les souvenirs de cette période, il fallait simplement s’en accommoder. Ce n’était pas irrespectueux juste comme ça. D’ailleurs le rendez-vous suivant attendait parfois des plombes, tant nos échanges duraient. Le lieu de rendez-vous était au siège du MoDem dans son bureau tapissé d’un enchevêtrement de livres. Devant lui son ordinateur portable, des journaux y compris la presse hippique. Pas étonnant, casaque orange et toque noire, il possède des chevaux de course.

François Bayrou est un « cabourut » comme on dit au pied des Pyrénées ; un homme ayant la tête près du béret qui depuis toujours n’a aucun complexe révérenciel. Enfant, il savait déjà ce qu’il voulait : s’isoler sur le toit de la ferme familiale pour dévorer tranquillement tous les trésors de la littérature, écouter les longues palabres lors de grandes tablées où la politique arrivait sur le tapis, vaincre son bégaiement. Obstiné, il obtient ce qu’il veut y compris de ne plus buter sur les mots grâce à des cours de théâtre au conservatoire d’Art dramatique de Bordeaux. Côté études le jeune Bayrou est doué mais ne se foule pas. Bachelier à 17 ans, il fait khâgne, mais n’intègre pas l’École normale supérieure faute d’avoir suffisamment travaillé. Il se console avec l’agrégation obtenue à 22 ans. Il est alors enseignant le jour, exploitant agricole en fin d’après-midi et pendant les vacances. Un chevauchement rendu obligatoire après le décès accidentel de son père Calixte connu pour labourer en récitant des poèmes. Et comme si cela n’était pas suffisant, il est éditorialiste pour un quotidien départemental.

« J’ai toujours su que la politique serait ma vie » m’avait-il confessé en évoquant sa jeunesse. À grandes enjambées il franchit les étapes, devient la plume de Jean Lecanuet, de Raymond Barre, de Pierre Méhaignerie. Ciseler les discours des autres n’est qu’un passage pour cet affamé de responsabilité. Il est élu conseiller général puis président de l’instance départementale. Une réflexion qu’il me glissa un jour éclaire la suite. « J’ai travaillé avec Giscard, avec Raymond Barre, avec Simone Veil. Après cette expérience j’ai fini par admettre qu’il faut s’y mettre soi-même, si l’on veut que son idéal se réalise. » La genèse de ses trois candidatures à la présidence de la République est dans ce jugement.

Si son parcours du ministère de l’Éducation nationale jusqu’à l’entrée à Matignon en passant par les présidences de l’UDF et du MoDem, les bisbilles avec Jacques Chirac et les gros différents avec Nicolas Sarkozy sont archiconnus, d’autres facettes le sont moins. La religion m’avait-il raconté « est quelque chose de très vivant en moi et en même temps je suis un laïc profond ». Il aime marcher dans les champs, rendre visite à ses chevaux, savourer les moments passés avec ses proches, s’occuper de Pau, sa ville de cœur. Tableau paisible que va dévorer l’enfer de Matignon que l’absence de majorité à l’Assemblée rend encore plus brûlant. Avec ce que je sais de lui, François Bayrou est un robuste que la difficulté transcende plus qu’elle ne l’effraie. Enfin installé là où il voulait être, il lui appartient de montrer ce qu’il sait faire.