Il est 6 heures, vendredi 6 décembre 2024 et le hangar de La Poste de Woippy qui accueille les colis est encore vide. Plus pour très longtemps. La brigade de tri de nuit a réceptionné puis organisé les colis arrivés en vrac dans les camions provenant de Bar-le-Duc, « l’une des deux plateformes du Grand Est, l’autre est en Alsace à Erstein », souligne Jean-Luc Lauray, le directeur du site. « Je l’ai vu naître en 2006 », glisse-t-il.
Et depuis, il assiste chaque année à un amoncellement de colis de plus en plus important. « Nous sommes entre 5 à 6 % de plus par année. Il y a une forte évolution de la livraison à domicile et en point relais. » En 2006, c’était entre 3 500 et 4 000 colis journaliers qui arrivaient sur le site La Poste de Woippy, aujourd’hui c’est en moyenne 14 000 sur une période classique. À Noël, la « pic période », 21 000 colis passent par ici sur une grosse journée avant d’être distribués auprès des clients.
La journée avance, le hangar se remplit. Il a l’air désormais d’une fourmilière avec des opérateurs et des livreurs qui font voyager les cartons d’un espace à l’autre. Les colis s’amoncellent dans les « CP », de grosses structures métalliques qui représentent les différentes tournées…
À quelques kilomètres de là, au centre de distribution d’Amazon à Augny – où sont traitées les commandes des clients de quasiment tout le Grand Est – ambiance un peu différente.
« Pendant le dernier mois de l’année, nous enregistrons une augmentation de l’activité de 30 % »
Pierre-Louis Debroise, le directeur du centre de distribution d’Amazon à Augny
Au mois de décembre, il n’y a pas une seconde de répit. La plateforme de 182 000 mètres carrés au sol est en effervescence de jour comme de nuit. « Pendant le dernier mois de l’année, nous enregistrons une augmentation de l’activité de 30 % », explique Pierre-Louis Debroise, le directeur du centre de distribution. Au total, près de 10 millions de colis sont traités, stockés et expédiés sur le dernier mois de l’année.
« Noël est une période cruciale et magique »
Face à ce boom, près de 700 intérimaires viennent à la rescousse des 4 000 salariés du huitième centre de distribution de France. Ils se répartissent en trois équipes (matin, après-midi, nuit). « Nous profitons des neuf premiers mois de l’année pour former nos équipes et les préparer aux trois derniers dans l’optique du Black Friday puis de Noël », continue Pierre-Louis Debroise.
25 kilomètres de tapis roulants assurent le cheminement des produits, pendant que l’intelligence artificielle permet de savoir avec précision où se trouve chaque article stocké avant d’être envoyé vers le site Amazon de Woippy… qui s’occupe de la livraison vers le client final, ou… La Poste.
Justement, retour au centre Colissimo de La Poste à Woippy : l’organisation de cette période faste se réfléchit en amont et collectivement. « On la prépare en mai/juin en se référant à l’année d’avant pour identifier nos besoins », indique Sylvie Raya, la responsable d’équipe. Sur l’année, soixante salariés travaillent ici, dont 45 en tant que postiers. Les renforts arrivent à partir de mi-novembre pour affronter le Black Friday, suivi du Cyber Monday puis des commandes pour Noël. En 2024, onze livreurs sont venus renforcer l’équipe et six opérateurs en CDD sur la brigade de tri. Ainsi, les tournées organisées tant sur Metz, le Saulnois, Thionville et jusqu’au Luxembourg [au total 147 communes sont couvertes] voient leur nombre de colis augmenter – environ 150 sont distribués par tournée sur cette période contre 130 en temps normal – mais leur nombre de kilomètres diminuer. En moyenne, il faut compter 25 kilomètres pour les tournées autour de Metz et 60 en extérieur réduits à environ 40 km sur la période de Noël. « Plus on va approcher du 24, plus les salariés vont sortir leurs pulls de Noël ou leurs bonnets. C’est une période cruciale et magique pour nous car derrière il y a des petits comme des grands qui attendent leurs cadeaux pour Noël », note Sylvie Raya. De mi-novembre au 24 décembre, près de 170 millions de colis seront triés et distribués par La Poste dans toute la France. Les enjeux logistiques dépassent le cadre de ceux pour qui c’est le coeur de métier. En Lorraine, ils sont scrutés de près par les décideurs à plusieurs niveaux.
La logistique, poumon économique lorrain
« En tant que territoire localisé dans un carrefour européen, la logistique est un secteur d’activité porteur », martèle à l’envi le maire de Metz François Grosdidier alors que l’Institut d’innovation logistique (I2L) fondé et dirigé par Nidhal Rezg, a obtenu mi-novembre son accréditation lui permettant d’intégrer le cercle fermé des écoles d’ingénieurs [206 en France]. Preuve que la formation devient un challenge pour répondre aux besoins de la région.
À l’échelle de la Lorraine, la logistique est une locomotive économique : fin 2020, les établissements du secteur logistique employaient 25 284 salariés, soit 15 % de plus que 15 ans auparavant, et représentaient 4,9 % des emplois du secteur privé au sens de l’Urssaf.
En moins de dix ans, les entrepôts logistiques ont poussé comme des champignons : Amazon est arrivé à Augny en 2021. La même année, ID Logistics Leroy Merlin a implanté un entrepôt de 30 000 mètres carrés à Laronxe, Colruyt s’est installé sur 13 000 mètres carrés à Fontenoy-sur-Moselle et Martin-Brower s’est mis à exploiter un plateau logistique partenaire de McDonald’s de 5 000 mètres carrés à Rosières-aux-Salines. En 2020, c’est Seifert qui misait sur la Moselle en s’offrant un site logistique de 41 000 mètres carrés à Hambach. Et en 2019 ? C’est le groupe de distribution de boisson Rega qui ouvrait un entrepôt à Lesménils. Deux ans plus tôt encore, le groupe FM Logistic jetait son dévolu sur un entrepôt de 25 000 mètres carrés à Ludres… Des exemples parmi d’autres.
C’est aussi en Lorraine que se trouvent des centres névralgiques de la logistique de grands groupes. Lidl s’appuie ainsi sur deux plateformes, à Montoy-Flanville et à Gondreville, pour desservir plus de 100 magasins.
Au sein du site meurthe-et-mosellan, sorti de terre en 2023 suite à un investissement de 100 millions d’euros, le discounter allemand emploie 250 salariés qui traitent 1 500 palettes au quotidien à destination de 58 magasins. L’espace s’étend sur 65 000 mètres carrés, dont 21 900 mètres carrés de cellules frigorifiques.
Quant à l’entrepôt mosellan de 42 000 mètres carrés, qui cumule plus de 300 emplois, ce sont 57 magasins Lidl qui y sont rattachés. « Nous traitons 78 000 palettes en réception/expédition chaque mois », indique Emmanuel Solofrizzo, directeur de la plateforme. Les concurrents Aldi (à Ennery) ou Norma (à Sarrebourg) exploitent eux aussi des bâtiments logistiques capitaux à l’échelle de leur groupe.
L’envers du décor à Ikea
C’est le cas également pour Ikea, le géant de l’ameublement suédois fondé en 1943. « Ikea est un magasin où tout le monde est déjà allé », rappelle Cédric Gouth, président de l’agence d’attractivité Inspire Metz à l’occasion d’une visite organisée des installations mosellanes de La Maxe.
Adossé à la surface de vente du géant de l’ameublement situé à La Maxe depuis 24 ans, le groupe s’appuie sur un entrepôt de 110 000 mètres carrés au sol, qui dessert le magasin accolé, mais également 19 autres dans toute la moitié Nord de la France, ainsi que trois entrepôts.
« Nous réceptionnons 6 000 références que vous retrouvez dans les magasins Ikea. »
Pierrick Dailly, directeur du centre de distribution Ikea de La Maxe
Parmi les points de vente gérés par le centre de distribution aux 105 quais de réception/expédition, il y a celui de Paris, qui affiche le chiffre d’affaires le plus important du groupe au monde. Le centre de distribution mosellan soutient par ailleurs les ventes en ligne de l’enseigne dans l’Hexagone, qui représentent 27 % de l’activité du groupe qui culmine à 3,7 milliards d’euros.
« 90 % des 6 000 références que nous réceptionnons ici proviennent d’Europe de l’Est et arrivent par la route. Le reste vient d’Asie par conteneurs. Ce sont les articles que vous retrouvez en magasin », explique Pierrick Dailly, le directeur du centre de distribution.
La Moselle est en fait un barycentre logistique du groupe qui compte au total 36 magasins en France. « Le seul autre site qui a la même vocation que nous, mais pour le sud du pays, se trouve à Fos-sur-mer », continue le dirigeant. Dans ce centre de distribution, 260 salariés dont 180 caristes s’affairent à organiser l’espace.
Un silo automatisé pour une meilleure productivité
La visite de ce mastodonte où sont traités 1,8 million de mètres cubes de palettes chaque année a permis de mettre en lumière le projet de modernisation de la plateforme. Huit millions d’euros ont été investis dans un silo automatisé baptisé « Fit For Future ». Ce projet s’inscrit dans le programme mondial de modernisation de la chaîne logistique Ikea.
Le nouvel équipement utilise la robotique et l’automatisation pour optimiser la gestion des stocks et accélérer les opérations de préparation de commandes. Il offre 75 000 emplacements de stockage, répartis dans des racks de 24 mètres de hauteur. Des transstockeurs desservent les palettes dans les 76 allées du silo. « La productivité a augmenté de 15 % depuis l’automatisation », se réjouit le directeur du site.
Suffisant pour réussir à affronter la période de Noël ? « En réalité, à l’occasion des fêtes de fin d’année, nous enregistrons une hausse de l’activité, mais qui n’est pas significative. Notre plus grosse période est à la rentrée de septembre, au moment des déménagements », dévoile Pierrick Dailly prenant ainsi le contre-pied de la plupart des autres entrepôts logistiques lorrains.