À l’instar de Philip Roth, Toni Morrison malaxe les notions de devoir, de culpabilité et de rédemption en les appliquant à l’apprentissage du métier d’homme. Un roman dont l’impact est amplifié par cette écriture à la fois musicale rugueuse et sensuelle qui fait la signature du prix Nobel américain
Après s’être enfui de l’hôpital psychiatrique où il était interné à la suite de l’une de ses crises, Frank traverse le pays, de Seattle à Atlanta, sans argent, grâce à une chaîne de solidarité et aux adresses du Green Book qui recensait les endroits acceptant les Noirs. Tout au long de ce périple, les souvenirs affluent qui restituent les familles chassées, obligées d’abandonner leurs bêtes et leurs maigres biens, les policiers qui tirent sur les enfants en toute impunité, les vieillards tabassés et une enfance rude, sans "maison" et sans tendresse, excepté dans la relation avec sa sœur de quatre ans plus jeune. Plus la distance géographique avec ce passé diminue, plus la mémoire devient conscience et Franck prêt à affronter sa vérité comme "un homme". La virtuosité de Toni Morrison n’est plus à démontrer, ni l’objectif d’inscrire la mémoire des Noirs américains dans son œuvre. Et si la couleur des personnages n’est jamais évoquée dans le récit, elle apparaît au lecteur par une multitude d’indices, d’attitudes et de menaces, confirmant en cela, l’impressionnante force suggestive de ce grand auteur.
Cet article est paru le 4 octobre dans l’hebdomadaire La Semaine n°391 à Metz. Pour lire le journal dès sa parution, abonnez-vous !