Julien Moulin, PDG de Française de l'Energie : "Sortir du charbon par le haut"

Débats sur l'énergie et réchauffement climatique aidant, il n'est pas une semaine ces derniers mois, ou peut-être même ces dernières années, sans que soit abordée sous un angle économique, écologique ou législatif la question de l'exploitation des nouveaux types de ressources fossiles. Avec des positions et des interprétations variées selon les pays, les opportunismes locaux ou momentanés en matière de pétrole et gaz de schiste notamment.

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Débats sur l’énergie et réchauffement climatique aidant, il n’est pas une semaine ces derniers mois, ou peut-être même ces dernières années, sans que soit abordée sous un angle économique, écologique ou législatif la question de l’exploitation des nouveaux types de ressources fossiles. Avec des positions et des interprétations variées selon les pays, les opportunismes locaux ou momentanés en matière de pétrole et gaz de schiste notamment.

Ce qui a pu être considéré comme un nouvel eldorado aux Etats-Unis, même si c'était à court terme, apparaît sous d'autres cieux comme un enfer pavé qui plus est  de mauvaises intentions. Un consensus presque global est néanmoins apparu sur la nécessité de faire preuve de  la plus extrême prudence par rapport à certains procédés d'extraction, la fracturation notamment.

En France, le particularisme lié au poids du nucléaire dans la production énergétique et la nécessité d'y gérer une transition peut être trop rapidement promise à déboucher, dans le secteur moins déterminant du fossile, sur une législation de principe ou relevant parfois du coup de menton. Certains ministres de
l'Écologie ont voulu laisser leur empreinte et c'est paradoxalement l'arrivée d'un calibre plus consistant, c'est-à-dire Nicolas Hulot au ministère de l'Environnement, ainsi que la rencontre post Cop 21 de décembre, qui pourraient déboucher sur des positions qui ne soient plus seulement de principe mais d'action. Les propos d'Emmanuel Macron lors de son interview sur France 2 à propos des choix sur le nucléaire, le renouvelable et la nécessité de mettre fin aux centrales thermiques à charbon en  France en sont une illustration.

Tout cela pour vous dire qu'un projet industriel lorrain et spécifique, puisqu'il s'agit de l'exploitation des gaz de houille dans le bassin minier, a dû composer depuis dix ans non seulement avec les aspects techniques et financiers de ce type de démarche mais aussi avec un environnement législatif   incertain propre à conforter les oppositions et les résistances. Pas question de fracturation pourtant dans cette technique répète depuis le début Julien Moulin le PDG de la société Française de l'Energie implantée à Forbach qui a acquis le droit de rechercher et d'exploiter. « Pas touche à mon sous- sol » répondent des opposants militants et la bataille sur la signification des textes se poursuit, alimentée par le chapelet d'intentions par toujours claires des ministres ou législateurs.

Alors que les premières vraies extractions de gaz sont escomptées pour le mois de février sur le site expérimental de Lachambre près de Saint-Avold et au moment où du gaz de mine, mais sans forage cette fois est déjà exploité dans le Nord par une filiale de la même société, nous vous proposons de faire le point avec Julien Moulin, PDG de la Française de l'Energie.

Le jour de notre entrevue celui-ci descendait du train qui le ramenait de Lille où sa filiale Gazonor gère déjà quatre sites. Il sortait aussi d'une réunion, quelques jours auparavant à Strasbourg et  sous l'égide de l'Union Européenne, consacrée aux « coal régions in transformation » c'est-à-dire la transformation et non plus simplement la reconversion des bassins houillers. « Une manière de sortir du charbon par le haut » dit Julien Moulin. 10 ministres de l'Énergie de pays européens y participaient. La France se contentait d'être représentée par Jean Rottner, président de la région Grand Est mais le message de ce dernier a été clair : « Il faut créer l'Europe des solutions et c'est encore plus vrai dans le domaine de l'énergie. »

Une analyse qui va assez bien à Julien Moulin qui rêve de voir bientôt l'unité de la Centrale Emile Huchet encore au charbon fonctionner au gaz de houille lorrain, prélevé dans le sous sol sur place… naturellement! Sortir du charbon par le haut !

Une pleine page dans le Monde économique il y a quelques semaines avec semble-t-il une unanimité locale sur la récupération du gaz de houille dans le Nord… et ici un chantier expérimental qui n'avance pas, une contestation sur le principe même. Pourquoi ?

Dans le Nord, avec notre filiale Gazonor nous avons mis en place sur quatre sites des systèmes avec des moteurs de récupération et de valorisation du gaz à la sortie des puits. Depuis la fin de l'exploitation des mines il y avait des installations d'events ou de puits de décompression pour que le gaz remonte et qu'on le récupère à la sortie. Charbonnages de France, avant de disparaître avait récupéré 20 milliards de mètres cubes depuis les années 90 et  le faisait notamment à Avion où nous sommes installés. Il y avait nécessité à le faire car ce gaz était très fort en CH4, 25 fois plus nocif en matière d'effet de serre que le C02. Nos quatre sites permettent aujourd'hui de produire 9MW. A titre d'indication, en Allemagne ils en produisent 300 MW.

Comment êtes-vous arrivé dans cette histoire ?
Après la fin de Charbonnages de France c'est une société australienne, en tête dans ce domaine dans son pays et qui cherchait un territoire d'expansion qui l'avait racheté en 2008  avec bien d'autres territoires. Quand j'ai repris cette société dans laquelle j'étais rentré après une carrière d'investisseur et de financier dans le domaine de l'énergie j'ai revendu cette partie à Albert Frères qui n'exploitera qu'un des sites. Quand Albert sortira du secteur de l'énergie en 2016 je lui rachèterai. Nous avions entre temps réfléchi à la mise en activité de plusieurs sites et à la transformation de ce gaz appauvri en énergie verte. C'est cette clarification qui nous a permis d'investir 7 millions d'euros dans les moteurs. Aujourd'hui l'objectif est de passer de 4 à 20 sites. Il y a encore une centaine d'évents en place.

Et l'environnement régional vous suit ?

Ce traitement est perçu dans le Nord comme une troisième révolution industrielle qui permet  à terme une autarcie en matière de gaz, une source d'énergie pour laquelle nous sommes  globalement  dépendants et dont le transport impacte le bilan écologique. Grâce au captage on économise des centaines de millions de tonnes.  250 000 rien qu'avec nos quatre sites actuels soit trois fois plus que ce que vise Total en mettant des panneaux solaires sur toutes ses stations-service du pays.  Nous allons le faire aussi en Wallonie.

Revenons à la Lorraine. Pourquoi ne pas y adopter le même principe ?

Parce que les mines de charbon de Lorraine ont été ennoyées et parce qu'ici le charbon est humide, protégé par des couches imperméables ce qui n'était pas le cas dans le Nord.  Il faut donc forer et aller chercher le gaz dans le charbon entre 700 et 1300 mètres de profondeur. Le forage, tout comme la géologie et l'ingénierie des réservoirs fait partie de notre savoir-faire. Ce n'est donc pas un problème en soi. Le forage principal et vertical est un tuyau de 80 centimètres de diamètre, les radiantes dans les veines sont des tuyaux de 10 centimètres avec des petits trous. Ils vont permettre d'assécher la veine grâce à la récupération de l'eau.

Suivra ensuite celle du gaz qui se libérera parce que la pression qui est de 100 bars au départ dans le sous sol baissera par paliers jusqu'à 5 bars. Depuis l'été dernier dans le puits expérimental nous étions à 50 bars et sommes actuellement à 20. En février la vraie production de gaz pourrait débuter. L'objectif sur ce puits est d'arriver à terme entre 15 et 20 000 mètres cubes par jour. Ce qui serait un vrai atout pour l'économie immédiatement proche. Le projet n'est pas de comprimer le gaz pour le transporter sur de longues distances ce qui réduirait à néant le caractère vert. Il doit être utilisé sur place, injecté dans les réseaux et pourra l'être vu sa qualité.

Pourquoi est-ce aussi long ?

Il a fallu le temps de mettre en place le modèle, identifier la ressource en fonction de la géologie et des percements déjà existants au temps des HBL. Celle-ci est à présent validée et certifiée par l'institut francais du pétrole et des énergies naturelles, l'ancien IFP. Nous avons voulu limiter les puits au forage efficace  et avons choisi de nous entourer de toutes les compétences pour rassurer. La traversée de la couche phréatique s'est faite avec l'assistance de spécialistes dans ce domaine. Nous avons travaillé et travaillons avec l'Université de Lorraine, l'école de géologie et le CNRS pour une IRM des roches et comprendre le système de fracture présent dans le charbon. Ce qui n'a rien à voir avec les systèmes de fracture hydraulique. Chez nous c'est le contraire. Nous retirons de l'eau qui peut être utile car elle est de qualité.

Il y a quand même une intervention dans le sous sol et on peut imaginer que cela perturbe
un équilibre naturel, non ?

Non, on ne change pas les équilibres du terrain. On baisse la pression pour relacher l'éponge à gaz qu'est le charbon. Un tube de 10 ou 15 centimètres ne change rien. A l'arrivée le charbon devient plus sec comme il l'est ailleurs. Ici nous avions la particularité d'avoir un charbon humide.

Vous n'avez jamais eu envie d'abandonner ?

Non car je ne vois pas d'autres mécanismes pour nous sortir de la dépendance russe dans ce domaine. Gaz de France achète chaque année pour près de 10 milliards d'euros de gaz qui vient de plus en plus loin et dont le prix global est de plus en plus cher. Au niveau géo-politique c'est absurde quand on peut avoir des ressources sous ses pieds et mettre en place, avec toutes les garanties des circuits courts. Il ne s'agit pas de vendre au loin. Je pense que la France a une carte à jouer dans ce domaine car d'autres pays sont encore sous la dépendance du charbon exploité de façon classique avec les inconvénients et les rejets que cela provoque.

Et votre équipe ?

Nous sommes 25. Nous sommes une boîte d'ingénieurs et n'avons fait que nous renforcer. Certaines technologies notamment pour l'information en cours de forage ont évolué et permettent de mieux suivre encore les veines. Les pionniers sont toujours là, les anciens aussi. Il y a parfois des frustrations car nous aurions aimé avancer plus vite mais il faut tenir compte des aspects règlementaires et sociétaux. Cela étant, plus nous avançons, plus nous voyons d'opportunités dans le domaine du foncier notamment pour des initiatives qui réduisent encore l'empreinte carbone.

Qu'est-ce qui motive à ce point vos opposants ?

Je crois qu'il y a un aspect psychologique tout simple : quand on fore, c'est dangereux. Ensuite il y a eu des amalgames. Les craintes pour le sol et les nappes ont été écartées. Je l'ai dit on travaille avec des spécialistes dans tous ces domaines. Maintenant, il reste une opposition liée aussi à des thèses de décroissance. On peut considérer que demain on aura beaucoup moins besoin d'énergie.

On vous reproche aussi d'être une société cotée en Bourse à caractère stratégique ou même spéculatif !

Nous avons voulu avoir des garanties sur l'existence des réserves, leur certification. C'était essentiel. J'ai entraîné avec moi des investisseurs et des familles qui connaissent le domaine de l'énergie et les échelles de temps qui y existent. C'est ce qui me permet de gérer. Avec le développement de l'activité dans le Nord nous sommes devenus profitables grâce au gaz, à l'électricité et à la chaleur fatale. De ma carrière sur différents continents j'ai appris une chose : il ne faut pas avoir de dogme mais regarder les opportunités.

Comment imaginez-vous plus précisément l'impact de l'exploitation de ce gaz sur la Moselle Est ?

Je reviens sur la notion d'opportunité. Nicolas Hulot a dit « ok pour des contrats de transition écologique ». Ce que nous voulons faire en est un. Il y a ici une culture industrielle et il y a une ressource. On pourrait forer juste à côté de la tranche de la centrale Emile Huchet qui tourne au charbon.

Vous avez eu des contacts avec le gouvernement pour un contrat de transition ?

Oui mais pour l'instant ils ont la pression d'un certain nombre d'ONG et d'autre part la politique énergétique européenne est inexistante. Nous sommes bloqués par l’Allemagne et la Pologne qui ont peur de la fin du charbon. C'est ridicule. Quand on a des talents comme dans tous ces secteurs miniers, on ne les met pas à la poubelle, on les transforme. Les Anglais ont réussi à en sortir, ils ont mis en place des solutions simples. Avec Emile Huchet on pourrait donner l'exemple d'une sortie du charbon par le haut.