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Nancy : quand le lycée Jeanne d'Arc enquête sur ses élèves déportés

À l’initiative de deux professeures de l’établissement, le lycée Jeanne d’Arc s’est penché sur l’histoire de ses élèves déportés pendant l’occupation allemande. Treize lycéens d’aujourd’hui se sont particulièrement investis dans un projet mémoriel qui va donner lieu à la publication d’un livre.

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Par Elise De Grave
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Les lycéens et leurs professeures ont pu aller sur les traces des élèves déportés de Jeanne d’Arc. © DR
À l’initiative de deux professeures de l’établissement, le lycée Jeanne d’Arc s’est penché sur l’histoire de ses élèves déportés pendant l’occupation allemande. Treize lycéens d’aujourd’hui se sont particulièrement investis dans un projet mémoriel qui va donner lieu à la publication d’un livre. C’est une plaque qu’on ne peut pas rater sur la façade du lycée Jeanne d’Arc, à deux pas de la place Stanislas à Nancy. Sobre, elle évoque la mémoire des élèves juives déportées victimes du nazisme. Quand elle arrive pour enseigner le français dans cet établissement, Lyane Levy se pose immédiatement des questions : « Pourquoi cette plaque n’est-elle pas nominative ? Connaît-on au moins l’identité des élèves dont il est question ? » Et la réponse tombe assez rapidement : contrairement au lycée Poincaré, il n’existe pas à l’époque de liste de noms. Un manque que Lyane Levy va s’atteler à combler. « J’ai commencé par faire quelques recherches, raconte-t-elle, qui n’ont pas abouti. J’ai mis mon projet entre parenthèses jusqu’à l’an dernier, quand nous avons décidé de le relancer avec ma collègue Anne-Laure. »
Pour mettre des visages sur les noms retrouvés, les enseignantes se sont plongées dans les photos de classes de l’époque. © DR
Anne-Laure Prulhière n’est pas plus professeure d’histoire que Lyane Levy. Elle enseigne les sciences et vie de la terre et les sciences numériques et technologie. Mais dans une autre vie, elle a été chercheuse en pharmacie, et ce virus de la recherche ne l’a jamais quittée : « Tant qu’il y a un os à ronger, je ne lâche rien, explique Anne-Laure Prulhière. J’avais déjà fait des recherches sur l’histoire très riche du lycée Jeanne d’Arc, avec d’autres professeurs, comme récemment pour l’abri antiaérien que nous avons pu ouvrir au public lors des journées du patrimoine. »

Dans le grenier du lycée

Connaître l’identité des élèves déportées s’est révélé être une tâche difficile. Au moment de l’invasion allemande, ce lycée de jeunes filles est déjà vidé de ses élèves. Comme le lycée Poincaré – qui accueillait, lui, les garçons – l’établissement sera transformé en « stalag », une prison en zone occupée. « Nous avons dû choisir une période précise vers laquelle remonter pour trouver des jeunes filles déportées qui avaient été scolarisées, raconte Anne-Laure Prulhière. De quelques années avant la guerre jusqu’au moment où elle éclate. Moralement et éthiquement, c’était difficile d’arrêter une date. Nous avons choisi 1932-1944. » Restait ensuite à recenser les noms, retracer les parcours, et trouver si possible des photos. Chose rendue difficile à cause de la perte de nombreux dossiers, lors de la débâcle de 40.

Retrouvée dans un carnet de correspondance et la poussière du grenier, cette photo est la seule trace du passage de Marguerite Goldberg au lycée. Elle a probablement été déportée quelques mois plus tard. © DR
C’est dans le grenier du lycée que commencent les investigations, un lieu que les deux professeures aiment qualifier de « magique », mais où « rien n’est rangé ». Des cartons, elles exhument des listes de classes, des dossiers scolaires, des photos d’élèves. « Je suis allée comparer tous ces noms avec les listes officielles des archives, raconte Anne-Laure Prulhière. Du mémorial de Caen aux archives de la ville de Paris en passant par le mémorial de l’holocauste aux États-Unis, ce travail de fourmi m’a permis d’établir une liste de quinze élèves, quatorze filles et un petit garçon, et de retracer leur parcours et un maximum d’informations. Certains sont morts dans les camps, d’autres en sont revenus. »

Investigations tous azimuts

L’étape suivante consistera à impliquer les élèves actuels du lycée dans cette démarche de mémoire. Un appel lancé sur les réseaux séduira une petite quinzaine d’entre eux qui se mettront à travailler sur le projet en dehors de leurs cours avec les deux enseignantes. « Par petit groupe, détaille Lyane Levy, ils se sont réparti le travail. Chacun planchant sur une personne en particulier. C’est presque comme une enquête policière. » Et très vite, les choix se sont faits par affinité. Telle élève d’aujourd’hui décidera de travailler sur le cas d’une élève de l’époque qui, comme elle, jouait du violon. Dans cette liste, quelques noms sont depuis passés à la postérité comme Marceline Rozenberg, devenue Marceline Loridan – rescapée d’Auchwitz et meilleure amie de Simone Veil –, ou Annette Zelman, élève de 1933 à 1936, morte à Auschwitz et dont le destin a fait l’objet d’un téléfilm l’an dernier. « Les élèves se sont attachés aux personnages sur lesquels ils ont travaillé, poursuit Lyane Levy, certains ont même pu entrer en contact avec les familles des élèves déportés. »

Bientôt un livre

La semaine dernière, les élèves ont signé leurs contrats d’auteurs avec les Éditions Ex Aequo. Le livre, fruit de leurs recherches, sera présenté au prochain Livre sur la Place. © DR
Simple travail mémoriel au départ, le projet a pris de l’ampleur. Au-delà des noms, des visages apparaissent : « C’est le contraire de la volonté initiale des nazis qui souhaitaient gommer l’humanité de ces enfants », souligne Lyane Levy. Le groupe d’élèves chercheurs a pu visiter ensuite le mémorial de la Shoah à Paris et a été invité par la Région à un voyage de la mémoire à Auschwitz. De cette belle aventure, il fallait garder une trace. Un projet de livre est en cours, chacun des élèves vient de signer son contrat d’auteur. L’ouvrage, richement illustré, sera présenté lors de la prochaine édition du Livre sur la Place et les élèves le dédicaceront aux lecteurs. Quant à la plaque sur la façade du lycée, elle devrait être changée lors des commémorations de la rafle de Nancy du 2 mars 1944. Soixante-dix ans plus tard, jour pour jour, les élèves déportés de Jeanne d’Arc retrouveront leur nom.