
Attaché à la Moselle
Pour dire les choses comme elles sont, c’était un rêve, « [son] objectif ». Retourner à la campagne, prendre ses distances avec l’agitation de la ville, lui qui revendique ses racines terriennes. Daniel Geiss, « le Dan », a 47 balais. Et ça fait plus de 30 ans qu’il bosse dans la restauration. On ne va pas dérouler, ici, l’histoire d’une vocation, celle-ci n’existe pas. Un temps il s’est frotté au métier de son père, mécanicien, mais après six mois d’une expérience sans conviction en préapprentissage il a enclenché la marche arrière. Inscription au CFA de Bellecroix, spécialisation hôtellerie, et puis on verra bien. Or, ç’a été tout vu. « Ça m’a plu tout de suite. » Deux années d’enseignement plus tard, il déboule sur le marché du travail. Et du boulot, il n’en manque jamais dans la restauration pour qui ne rechigne pas à caler sa vie sur des horaires foutraques. Lui s’en moque. Il enchaîne. Premier job au Chat noir, rue Pasteur, établissement qui existe toujours. S’ensuivent le Métropole, quartier gare, et le Gold, mitoyen du centre Saint-Jacques, établissements disparus. La gérance de l’Auberge de la gare à Courcelles-Chaussy, des passages dans une brasserie d’un centre commercial, un séjour au Ban-Saint-Martin. Des départs aussi. Six mois à Calvi, en Corse, trois ans dans le Sud-Ouest. Il est alors en couple. « On avait envie de quitter la région. Je vivais avec quelqu’un qui avait de la famille là-bas. On a chacun pris une valise et on est parti. Deux-trois jours à Montpellier, deux-trois jours à Bordeaux, deux-trois jours à Toulouse… C’est à Toulouse que ma compagne a trouvé du boulot. C’est donc là qu’on s’est installé. » Jusqu’au retour en Moselle. De toute façon, la Moselle le rappelle toujours à elle. « J’aurais pu rester en Corse, j’aurais pu rester à Toulouse… Mais je me sens bien ici. Je ne sais pas, peut-être à cause du climat », formule-t-il à l’appui d’un rire. Avant de se reprendre : « Non, ça tient aux amis, à la famille. Voilà tout. » Déjà beaucoup.
« À l’aise avec tout le monde »
Reprenant possession de Metz, Daniel Geiss déboule aux Trappistes, l’adresse « hype » du centre-ville que dirige Laurent Gaspard. Il y reste une dizaine d’années. Place de Chambre, au pied de la cathédrale, là où il est de bon ton de se faire voir, donc à des années-lumière de ses aspirations de « campagnard ». « Mais c’est ce que j’aime dans ce métier. Le fait d’être à l’aise avec tout le monde, l’avocat comme le chômeur. » Dans un coin de la tête, pourtant, l’envie de se lancer. D’avoir sa propre affaire. Il s’y emploie. « À trois ou quatre reprises, avec à chaque fois de gros dossiers qui tiennent la route. » Les banques lui ferment la porte au nez. « Ça m’a dégoûté. J’ai laissé tomber. » Le désir revient en 2019. L’addition est la suivante : une cellule disponible et attrayante, rue des Jardins, + son amitié avec Philippe Brutto, qui dans une vie précédente agitait les nuits messines à la tête de l’Estanquet, rue des Roches, puis du Strapontin, place de Chambre. Lorsque s’ouvre la fenêtre de tir, les deux s’y engouffrent. « Je n’ai sollicité aucune banque, on s’est démerdés tout seuls. » Le Frichti est né. Bail signé le 31 décembre 2019. Les travaux d’aménagement et d’embellissement se font durant le confinement de mars 2020, premier du nom. Ouverture en juin, quand la vie reprend. Quatre mois plus tard, coup d’arrêt. Bars et restos sont priés de se faire discrets, et ce durant sept mois. Le tout conditionné à de salutaires aides de l’État. « Heureusement qu’on avait très bien travaillé durant quatre mois. Sans cela, on mettait la clé sous la porte. »
Daniel Geiss avait un plan en tête. Consacrer une poignée d’heureuses années au Frichti avant de prendre la clé des champs, en périphérie. Mais l’existence est ce drôle de truc qui vous réserve quantité de surprises. Tout s’est accéléré par l’entremise d’un ami notaire, qui lui aussi fréquentait Le Chablis autrefois. « Le » Dan, il s’y voit déjà. Ars-Laquenexy, ses potes d’antan, ceux à conquérir, « les bonnes bouffes » qu’il entend y proposer, « la convivialité » pour laquelle il s’est bougé la couenne « six jours sur sept, douze heures par jour », aux débuts du Frichti, qu’il entend défendre… « Je devine qu’il y a là-bas un vrai potentiel. » Il devine, surtout, qu’à Ars-Laquenexy va démarrer « une vraie nouvelle vie ». Celle derrière laquelle il a toujours couru.
