Réalité virtuelle à Nancy : un premier opéra dans le métavers

L’Opéra national de Lorraine frappe un grand coup en proposant une expérience inédite avec l’oratorio « La Création » de Haydn du 18 au 23 février. La représentation sur scène avec écran LED et robot humanoïde sera accessible à tous en live, grâce à la réalité virtuelle dans le métavers sur une plateforme. Il s’appelle Ameca, appartient à la catégorie des robots humanoïdes dont les expressions faciales et les gestes font plus vrais que nature. Longtemps cantonné aux films de science-fiction, ce robot, parmi les plus aboutis au monde va faire ses premiers pas sur la scène d’un opéra, et il a choisi Nancy pour se lancer, grâce à un partenariat avec l’Institute for Information Technology, de l’Université d’Oldenburg en Allemagne. Conscient ou non de sa chance, il sera à l’affiche du prochain événement de l’Opéra national de Lorraine.

Côté œuvre, du classique : Haydn et son oratorio intitulé La Création, de 1798. Une thématique ambitieuse, puisqu’il s’agit de raconter la naissance du monde. Et une grande marge de manœuvre pour la mise en scène, puisque au départ, en tant qu’oratorio, cette pièce n’a pas été pensée pour être mise en scène en opéra. De quoi laisser le champ libre à l’imagination de Kevin Barz, jeune metteur en scène d’opéra et de théâtre allemand, également vidéaste, qui avait déjà collaboré avec l’Opéra national de Lorraine en 2019 avec Êtes-vous amoureux ?, un opéra numérique dans l’espace urbain dans le cadre de NancyOperaXperience #1, laboratoire de création lyrique. Son approche moderne de l’opéra entre cette fois-ci dans une autre dimension.

Un jumeau virtuel de l’opéra

Sur la scène de l’opéra, bien réelle, il faut s’attendre à voir les codes évoluer, avec un décor qui entremêlera des vidéos sur des écrans LED, des jeux de lumières et même la présence d’un robot. « L’espace brouille les frontières entre les mondes réel et virtuel, explique Kevin Barz. Il ne s’agit pas d’un opéra au sens classique du terme : plutôt d’un oratorio esthétiquement augmenté, qui tend vers une conférence-performance très plastique et visuelle. » C’est en dehors de la scène de l’opéra que se trouve l’enjeu de cette création. Depuis un ordinateur, avec ou sans lunettes de réalité virtuelle, grâce à la plateforme Sansar, n’importe qui pourra accéder à une réplique virtuelle de la grande salle et du foyer de l’Opéra national de Lorraine en 3D. Ces nouveaux spectateurs, visiteurs du métavers pourront entrer, interagir entre eux et découvrir une version numérique du spectacle en live, abolissant toutes les barrières : « Le tout se fera simultanément à nos représentations, poursuit le metteur en scène, de sorte que les personnes présentes au théâtre et dans l’espace numérique partageront une expérience commune – le décor réel constitué de panneaux vidéo LED à Nancy peut même servir d’interface entre l’espace virtuel et l’espace analogique, de sorte que les personnes présentes au théâtre et dans le Métavers puissent se rencontrer lors de la représentation. » L’Opéra national de Lorraine prévoit de proposer cette expérience immersive via des casques de réalité virtuelle dans des universités ou d’autres établissements partenaires. Ils permettront également aux publics éloignés une découverte de l’Opéra d’une manière nouvelle.

Si les mises en scène originales ne sont pas rares à l’Opéra national de Lorraine, soucieux de faire évoluer le genre, cet oratorio fait résolument franchir un cap, grâce à l’audace d’un jeune metteur en scène : « J’aime me demander comment transformer l’opéra en recourant à la technologie. Il ne s’agit pas de faire abstraction du passé, mais de voir comment il peut évoluer et s’enrichir au contact de nos pratiques actuelles : non remplacer ni éclipser mais augmenter et développer », conclut Kevin Barz. Une innovation qui ne dénature pas l’essence même du spectacle, au moins pour les personnes présentes physiquement dans la salle : « Qu’on se rassure, précise Mathieu Dussouillez, directeur général de l’Opéra national de Lorraine, les spectateurs dans l’opéra ne seront pas équipés de casque de réalité virtuelle et n’auront pas besoin de smartphone, ils assisteront à un spectacle d’opéra classique avec de vrais artistes sur scène, avec un petit plus ; la présence, assez poétique d’ailleurs, du robot sur scène. » Ceux qui l’auront vu « en vrai » pourront aussi se faire une idée de ce que cette œuvre donne « en virtuel » dans le métavers. À noter que la version virtuelle de l’oratorio sera accessible en ligne jusqu’à la fin de la saison. Pour les équipes de l’Opéra national de Lorraine, cette première ouvre des perspectives : « Désormais notre opéra existe dans le métavers, se réjouit Mathieu Dussouillez. Des artistes pourront le découvrir, s’y projeter à distance en vue de prochains spectacles. On peut surtout imaginer dans un futur proche, des créations uniquement dans le métavers, dans ce jumeau virtuel de notre opéra, pour une nouvelle expérience, totalement différente, notamment au niveau du son. »

Un propos contre l’obscurantisme

La forme rejoint le fond du propos avec la thématique de la création du monde exposée dans l’œuvre originale de Haydn, qui date de 1798. Là ou le compositeur autrichien loue le rôle de Dieu, la mise en scène de Kevin Barz joue le contrepied et rend hommage à la science et aux technologies : « En confrontation directe avec le livret et la musique de Haydn qui exalte la création divine, elle met en avant les découvertes scientifiques des 2 500 dernières années et montre comment l’univers, la Terre et l’humanité sont réellement nés. L’amour et la joie que nous entendons dans la musique de Haydn pour la beauté de la création se muent en une forme d’enthousiasme inspirée par les découvertes et les succès de la science à travers les siècles. » Matthieu Dussouillez, souligne l’enjeu intellectuel d’une telle proposition artistique, au-delà de l’innovation technologique : « Selon un sondage dont la presse s’est fait l’écho, 38 % des Américains continuent de croire aujourd’hui que la Terre a été créée il y a moins de 10 000 ans dans sa forme actuelle. Un tel chiffre témoigne de la virulence du créationnisme : la représentation du monde que nous tenons pour acquise, basée sur l’observation des faits scientifiques, fait l’objet d’attaques perpétrées par des obscurantistes de tous bords. »