« Ça s’agite, ça m’intéresse. » Jean-Pierre Masseret ne peut rester indifférent à ce moment inédit. Il a envie d’en parler, besoin d’y participer. Par procuration, certes mais avec conviction. Le 18 juin dernier, nous avions déjà croisé le chemin de l’ancien président de la Région Lorraine. La discussion s’était centrée sur l’épisode politique actuel en s’autorisant quelques détours par ce qu’il écrit aujourd’hui, ce qui l’inspire, le bilan qu’il s’autorise sur sa vie politique. Jamais aussi bon que quand il est s’exprime sur la politique nationale, bien loin d’une histoire régionale où il s’est parfois perdu et ennuyé, Jean-Pierre Masseret nous avait lâché cette phrase : « Personne n’a intérêt à gagner cette élection ».
Une sentence qui avait résonné comme n’étant pas loin de la vérité. Depuis ce moment, le contact n’a pas été rompu. À chaque étape importante de cette séquence politique, Jean-Pierre Masseret nous a écrit pour nous faire part de son analyse. Et nous nous sommes rencontrés pour aller plus loin. Aujourd’hui, nous vous proposons de remonter le temps à ses côtés et de marquer un arrêt sur les dates importantes que nous venons de traverser.
On commence par le 9 juin, jour des élections européennes. Ce soir-là, Jean-Pierre Masseret attend les résultats, chez lui à Metz. Quand il apprend que le président de la République va parler, il se demande « bien ce qu’il va pouvoir dire. Une fois de plus que rien ne sera comme avant ? L’accumulation de ces mots vides de sens indispose l’opinion publique. » Ça fait un moment que Jean-Pierre Masseret ne croit plus en Emmanuel Macron. Il avait pourtant été l’un de ceux en Lorraine à se placer dans le sillage du charismatique ministre de l’Économie de François Hollande, à croire en cette idée du et droite et gauche résumée dans un pratique « en même temps », à y voir l’incarnation d’un concept qu’il porte en bandoulière depuis un certain temps : le progressisme.
Ce soir-là, Jean-Pierre Masseret, comme d’autres observateurs, ne croît pas une seconde que le président va dissoudre. « Ce serait aller contre tout ce qu’il a toujours dit à savoir que les élections européennes restent les élections européennes, qu’il ne faut pas donc en tirer de trop hâtives conclusions. Je croyais encore ce qu’il disait. » Il se trompe et voit donc s’ouvrir, pour son pays, une séquence qui n’a pas d’autre équivalent. Saut dans l’inconnu.
Blocs et compromis
Lundi 8 juillet, la campagne et les deux tours sont passés laissant le pays perclus de courbatures électorales. Jean-Pierre Masseret nous envoie un texte baptisé : « Après le 7, analyse. » Sur le coup, on met le mail de côté, pas forcément convaincue par l’idée de plonger dans les écrits de l’ancien sénateur. Puis on y revient et on s’arrête notamment sur le bilan qu’il fait des gagnants et des perdants. Dans la première catégorie, il classe : « Une Macronie qui s’en sort mieux que bien », avec un Premier ministre « qui a gagné des galons et peut se permettre de voler seul ». « L’autre grand bénéficiaire est le NFP qui recueille d’abord le fruit d’avoir été à l’initiative de l’arc républicain. Le dernier gagnant politique est le parti LR.
Il est vraisemblable que Laurent Wauquiez sera le ciment qui fera tenir le groupe et le parti. Le RN est le grand perdant. Les ailes de la conquête ont été brutalement rognées. Le choc est brutal. Il est clair que pour une grande majorité des Français, le RN n’est pour l’instant, qu’une ressource politique secondaire utilisée comme menace. Son devenir est donc étroitement dépendant de la réussite ou de l’échec de ses concurrents. » Selon Jean-Pierre Masseret, « le pays du 30 juin au 7 juillet a envoyé quatre messages : on ne veut pas encore du RN pour gouverner le pays, on veut des réponses pour notre vie quotidienne, on vous met en situation d’une élection à la proportionnelle, on vous appelle donc à des réformes institutionnelles voire constitutionnelles. »
Le lendemain, 9 juillet, nouveau mail intitulé cette fois « Après le 7 et le 8 juillet ». Et là c’est un passage sur la notion de compromis dont il est partout question en ce moment qui attire notre attention. « Le drame français est l’incapacité des compromis. Elle n’est pas nouvelle. Elle a sa source en juin 1789 au sein des États généraux convoqués par le roi. Le Tiers État est entré dans la démarche voulue par la monarchie sans avoir comme projet l’instauration de la République. C’est le refus de l’aristocratie d’accepter des compromis pour reconnaître au Tiers État sa juste place que de fil en aiguille, de refus en refus, celui-ci a pris toute la place politique qui lui était refusée. La République s’est imposée par la radicalité, la violence et les divisions. Tout sauf le compromis. Ce refus du compromis est la vraie exception française. » Ajoutons à cela le contexte : « Le compromis est rendu difficile parce que tout le monde est convaincu que la situation actuelle est éphémère. Chacun a tendance à rester sur ses positions par crainte que toute démarche se retourne contre intérêts électoraux. »
Jean-Pierre Masseret s’interroge : « Mélenchon parviendra-t-il à ses fins ? Ne voulant aucun compromis, le patron de LFI doit enfermer ses partenaires dans un accord global et immédiat de l’organisation et de l’action du NFP. Désigner un futur Premier ministre, répartir les postes et les responsabilités pour que chacun soit mis au pied du mur. Utiliser l’unité et l’union pour éloigner les brebis galeuses. Son horizon à lui ce sont les présidentielles à très court terme. » Il ajoute : « Un mot sur l’espace politique du président de la République. Il est silencieux car il ne peut pas faire autrement. Il n’a pas grand-chose à attendre de l’organisation de l’Assemblée nationale. S’il veut être utile, il devrait saisir quatre cartes et les jouer avec l’opinion et les partenaires privés et publics concernés : l’augmentation du Smic, l’imposition des grands patrimoines immobiliers et financiers, la réforme des institutions, la prise en considération des territoires périphériques et non urbains. »
Patrimoine et constitution
Dernier envoi le dimanche 14 juillet : « 7 jours après ». On balaye un texte qui est chapeauté par ce surtitre : « Les certitudes qui organisent le présent ». Tout d’abord : les trois blocs « qui se partagent largement l’Assemblée nationale. Seul le groupe RN est homogène, uni, autour des intérêts de Marine Le Pen. L’ex majorité Ensemble est tiraillée entre des élus qui louchent tantôt vers la droite tantôt vers la gauche. Le NFP est par nature et composition divisé.
LFI veut imposer sa domination idéologique, les écolos ne sont d’accord que pour condamner la politique de Macron, le PC s’est fait dépecer par le RN et LFI. Le PS croit avoir repris de l’importance mais l’accusation de social traite brandie en permanence par LFI paralyse la direction qui a besoin des voix LFI dans quelques circonscriptions dont celle d’Olivier Faure. Trois blocs qui ne peuvent ou ne veulent envisager un avenir partagé. Trois blocs qui devront choisir le 18 juillet. Si un non-inscrit est choisi, le citoyen de Courson député apprécié et aguerri pourrait être celui-là. ».
Et de conclure : « La journée du 18 juillet est importante mais probablement pas capitale. La peur du programme du NFP est-elle de nature à empêcher la crise de régime qui est latente. On parle comme alternative à la gauche d’un accord sans coalition. Ça veut dire quoi ? Est-ce sérieux ? Faisable ? Durable ? Si l’on veut éviter la radicalité dangereuse des deux extrêmes, toute politique concrète devra traiter deux blocs d’exigence : le premier d’ordre économique sollicitera les patrimoines pour financer le redressement des services publics et améliorer pouvoir d’achat des 15 % de Français vivant en dessous du seuil de pauvreté ; le second d’ordre régalien devra impérativement traiter la question indissociable du triptyque : sécurité, intégration immigration. Si ceux qui doivent agir dans l’intérêt de la France font le choix de leur intérêt personnel, les extrêmes auront tout l’avenir pour eux. »
Un récit qui se lit comme un carnet de bord, passionnant non ? Quelque chose nous dit qu’il y aura une suite…